Le Plan de lutte contre les violences et les incivilités, décliné depuis mai 2024 par la Fédération Française de Rugby (FFR) est un modèle du genre par sa complétude et sa propension à impliquer tous les échelons de la discipline. Cela méritait une présentation exhaustive au nom des valeurs qu’il entend préserver, dont le fair-play.

Ce Plan comprend trente préconisations articulées autour de quatre axes.

Axe 1 : sensibiliser

On est là, bien sûr, dans la prévention en vue d’une réduction des violences. D’où la nécessité d’éveiller les consciences à la fois chez les licenciés, les spectateurs et les associations sur l’existence, la nature, l’ampleur et les moyens de prévenir ces violences. Le tout afin de tendre vers « une culture de la tolérance zéro » concernant ces dérives. Tout un éventail d’actions est
prévu :

-> La création de vidéos
Il s’agit de vidéos choc, courtes et réalistes, diffusées tout au long de la saison pour faire réagir les acteurs mais également pour sensibiliser les licenciés sur les incidents qui se produisent sur les réseaux sociaux. Ces clips seront également mis en ligne sur les plateformes de partage et les réseaux sociaux.

-> La mise à disposition de discours
Ces textes sont, là encore, censés sensibiliser les participants et les spectateurs des tournois et des plateaux des écoles de rugby en étant lus aux participants (joueurs, entraîneurs et public) pour privilégier la notion de respect tout au long de la manifestation.

-> L’instauration de gestes de respect
Lors des rencontres organisées par la FFR ou sous son égide, les joueurs/joueuses ainsi que les membres de l’encadrement seront amenés à serrer la main, avant et après la rencontre, de tous les officiels de match. Une manière d’instaurer un esprit de fair-play et de désamorcer les conflits potentiels.

-> La création de banderoles et de chasubles
A l’occasion d’opérations particulières, une banderole comportant un message contre les violences est déployée avant le coup d’envoi d’une rencontre et portée par l’ensemble des participants (joueurs/joueuses, encadrement, officiels de match) pour sensibiliser les uns et les autres et tuer dans l’œuf les tensions.
Autre vecteur, le port de chasubles avec diverses inscriptions : « Éducateur/éducatrice responsable », « Parents citoyens », « J’apprends à arbitrer, aidez-moi, respectez-moi ».

-> La création de goodies

Les goodies sont, ici, un support pédagogique. Ils comportent des messages sur les conséquences des comportements délétères et les ressources disponibles pour obtenir de l’aide, ou encore des conseils pratiques sur la manière de réagir pour les témoins et les victimes de violences.
Par ailleurs, en impliquant ses membres, la distribution de goodies encourage la mobilisation de la communauté à ce type de cause.

-> La création d’une charte du supporter
Ce document recense les droits et les devoirs des supporters dans le cadre des manifestations de rugby afin de promouvoir un comportement responsable, respectueux et sûr, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des installations sportives. Les associations qui rencontrent des difficultés pour gérer leurs supporters peuvent également s’appuyer sur ce corpus.

-> La diffusion de la règle n°9 de World Rugby
Celle-ci stipule que « les joueurs ne doivent rien faire qui soit imprudent ou dangereux pour autrui » et cela doit être affiché dans le stade.

Axe 2 : former

L’ambition est, ici, de permettre à tous les acteurs du rugby de détecter les signes de violence et d’acquérir des compétences pour, le cas échéant, intervenir de manière pertinente, aider les victimes et les informer des ressources disponibles. Et ce, grâce à un panel de moyens complémentaires.

-> La création d’une boîte à outils
Celle-ci est constituée d’un ensemble de ressources (brochures, manuels, vidéos, autres supports pédagogiques) destinées à aider les personnes et les organisations à prévenir les différentes formes de violences.

-> Des formations générales pour tous les acteurs
Elles portent sur divers sujets :

  • informer le public des différentes formes de violences (psychologiques, sexuelles, harcèlement,
    etc.) afin de mieux en aborder les signes précurseurs ;
  • apprendre aux témoins ou proches de personnes victimes de violences à intervenir de manière
    sûre et efficace (conseils pour soutenir la victime, numéros utiles, etc.).
  • apprendre des techniques de gestion du stress, à cultiver des relations saines et à renforcer sa
    résilience, car le bien-être émotionnel et la gestion du stress sont des facteurs de prévention des
    violences ;
  • aborder, auprès des plus jeunes, des sujets tels que le consentement et la prévention du cyber-
    harcèlement ;
  • organiser une formation sur la lutte contre les addictions afin de combattre notamment les
    comportements impulsifs (drogues, alcool, etc.).

-> Des formations spécifiques des acteurs du rugby
Destinées à faire prendre conscience à chacun(e) de toutes les formes de violences, notamment en
sachant les détecter et les gérer, elles visent :

  • les stagiaires des académies, des pôles espoirs, des centres de formation et des centres
    d’entraînement labellisés ;
  • les managers d’académies et de pôles espoirs ;
  • les entraîneurs et les éducateurs pour lesquels, à terme, cette formation sera un préalable
    obligatoire à l’obtention de leur diplôme et/ou de leur licence ;
  • les officiels de match ;
  • les représentants départementaux des écoles de rugby, autrement dit, les officiels et les relais
    officiels de la FFR lors des plateaux et autres tournois ;
  • les dirigeants des associations ;
  • les responsables de la sécurité ;
  • les membres des conseils de discipline ;
  • les comités départementaux ;
  • les secrétaires généraux des ligues régionales ;
  • les administrateurs de la FFR.

Axe 3 : prévenir

Là, la FFR entend « identifier et agir sur les facteurs de risques qui favorisent l’apparition des comportements violents tout en renforçant les facteurs de protection pour réduire leur incidence ».

-> La création de l’Observatoire du climat des violences
« Une mesure clé pour évaluer le climat des violences est de développer un indicateur de prévalence des violences qui permettrait de quantifier et de suivre l’incidence des différentes formes de violences dans le rugby » : telle est la raison d’être de cet Observatoire. Lequel est alimenté en collectant, selon des protocoles normalisés, des données à partir de sources multiples (rapports des officiels, enquêtes auprès des acteurs du rugby…). Un corpus destiné à être analysé régulièrement pour détecter les tendances et la prévalence des violences. Avec, en sus, des comparaisons géographiques et sectorielles pour identifier les zones à risque et les populations vulnérables.

-> La création d’une base de jurisprudence publique
Cette base de jurisprudence composée des décisions des conseils de discipline de la FFR, y compris au niveau régional, doit être consultable sur le site Internet de la FFR. Un moyen de rappeler les sanctions minimales et maximales pour les différentes infractions.

-> La diffusion du Reglo’sport
Il s’agit d’une adaptation au secteur sportif du Violentomètre, lequel est un instrument d’auto- évaluation comportant vingt-trois questions destinées, via une règle graduée, à repérer les comportements violents et à déterminer si une situation relève ou non d’une violence.

-> La lutte contre l’abus d’alcool
Celle-ci peut prendre la forme de campagnes de sensibilisation sur les dangers de la consommation excessive d’alcool mais aussi d’une limitation, voire d’une interdiction de la vente d’alcool lors de journées spécifiques.

-> La définition d’une procédure de gestion des matchs à risques
La démarche consiste à procéder à une évaluation approfondie des risques puis, sur cette base, à élaborer un plan opérationnel détaillé identifiant les mesures de sécurité nécessaires à déployer avant, pendant et après le match. De leur côté, les clubs ont la possibilité de signaler en amont, en remplissant un formulaire, les matchs potentiellement à risques.
Dans le cas où la chose est avérée, le dossier est transmis à la Direction nationale des officiels de match. A la clef, une coordination entre toutes les parties prenantes impliquées dans la gestion du match (Police, Gendarmerie, services de secours, organisateurs, officiels…) et la mise en place de dispositifs de surveillance pour détecter les signes précurseurs de comportements violents et intervenir rapidement en cas d’incident.

-> La conclusion d’une convention avec le ministère de l’Intérieur
Le but est de définir des protocoles clairs et précis relatifs à l’intervention rapide des forces de l’ordre en cas d’incident lors des matchs. C’est aussi l’occasion de sensibiliser les agents de police aux enjeux spécifiques liés aux événements du rugby.

-> L’intégration de critères au sein du Label clubs
Les associations sont invitées à mettre en place des actions destinées à lutter contre les violences et à sensibiliser leurs licenciés. Cet item sera, parallèlement, intégré aux critères de délivrance du « Label clubs » en cours d’élaboration au sein de la FFR.

-> L’évolution des pouvoirs des officiels de match
Il convient, en effet, de délimiter le rôle de chaque officiel lors des matchs, quitte à élargir les pouvoirs de certains d’entre eux.

-> L’application i-arbitres
Elle permet aux officiels de se prononcer sur plusieurs thèmes comme le comportement du public et du banc de touche. Et ce, pour alimenter l’Observatoire des violences et mieux cibler les actions pédagogiques à mener. Cet outil d’évaluation se veut dissuasif puisque suite aux notations, il peut inciter à la mise en place de dispositifs dédiés lors des matchs.

Axe 4 : réprimer

Ce volet est évidemment incontournable, ne serait-ce que par son côté dissuasif. Il est aussi un moyen de réaffirmer l’autorité de la FFR et de ses organes déconcentrés.

-> La déclinaison des infractions pour mieux identifier les violences
En précisant les infractions figurant dans le règlement disciplinaire, il sera dès lors plus facile d’identifier les situations de violence et d’adapter les mesures aux faits précis. Mais aussi de recenser les carences et les optimisation à apporter. Par exemple, spécifier que l’infraction d’atteinte à l’intérêt supérieur du rugby comprend aussi les actes de bizutage ; les comportements obscènes, racistes et discriminatoires ; ou encore, le non-respect du devoir de réserve.

-> L’évolution des sanctions financières
Il est indispensable de faire évoluer le barème disciplinaire applicable aux licenciés afin de mettre en lumière la sanction financière encourue en plus de la suspension. Celle-ci reste, en effet, méconnue des clubs et est même parfois… oubliée par les commissions qui prononcent les sanctions. A cela s’ajoute une augmentation des sanctions financières à des fins dissuasives.
En outre, il convient d’instaurer, dans le règlement intérieur des associations, le paiement, par le licencié lui-même, de la sanction financière (amende) liée à une suspension individuelle.

-> La modification du système de purge des suspensions
Aujourd’hui, lorsqu’un licencié dispose de plusieurs qualités (par exemple, joueur et dirigeant), il purge ses semaines de suspension grâce à ses différentes qualités, ce qui lui permet de gagner du temps. D’où la volonté d’aligner les suspensions sur le profil correspondant de la personne.

-> L’augmentation du barème disciplinaire
Les infractions disciplinaires sont certes encadrées par World Rugby. En revanche, il est possible de revoir à la hausse les sanctions qui ne sont pas expressément listées par le règlement 17 de World Rugby, telles que celles prévues en cas de non-protection d’un officiel de match ou d’incorrection vis-à-vis d’un officiel de match. Et ce pour rehausser le point d’entrée de la
sanction en ajoutant un certain nombre de semaines de suspension. Sachant, par ailleurs, que le règlement de World Rugby prévoit un facteur aggravant. En l’occurrence, « le besoin de dissuasion pour lutter contre un type précis d’infraction si les équipes participant à la rencontre ont été avisées de l’existence de ce besoin ».

-> L’amélioration de la prise en compte de la récidive
Il importe de clarifier la notion de récidive de la sorte : « Une personne sera considérée comme en état de récidive dès lors qu’elle a commis une nouvelle infraction au cours d’une saison sportive, alors qu’une sanction définitive lui a été infligée au cours de cette même saison. »
A la clef, un barème clair de majoration automatique de la sanction :

  • 1 ère récidive : majoration de 50 % de la nouvelle sanction infligée ;
  • 2 e récidive : majoration de 75 % de la nouvelle sanction infligée ;
  • 3 e récidive et au-delà : majoration de 100 % de la nouvelle sanction infligée.

-> L’élargissement de l’éventail des sanctions disciplinaires
Là, des évolutions réglementaires sont prévues :

  • dans les dossiers concernant des personnes morales, il est question d’élargir l’éventail des mesures pour toutes les infractions disciplinaires en incluant la désignation d’officiels de match aux frais des associations ; des retraits de points (sans limitation) au classement général ; la désignation, toujours aux frais de l’association, d’un délégué sécurité, d’arbitres assistants ou d’un représentant fédéral (sans limitation relative au nombre de rencontres) ; l’interdiction d’organiser des phases finales ; l’exclusion des compétitions, etc.
  • dans les dossiers concernant des personnes physiques, les organes disciplinaires pourront prononcer des mesures de réparation visant à compenser les dommages causés par les comportements violents.

-> Le contrôle des réseaux sociaux
En la matière, la FFR proposera le recours à une application permettant de modérer les commentaires haineux et injurieux sur les réseaux sociaux, notamment à l’encontre des officiels.

-> La désignation d’officiels de match aux frais des associations

Il est crucial de permettre à la FFR de prendre des mesures de police administrative justifiées et proportionnées pour lutter contre les violences et ce, sans avoir à attendre l’intervention des autorités publiques. C’est pourquoi, dès lors qu’elle aura été informée d’incidents et dans l’attente de la décision du Conseil de discipline ainsi que de l’intervention des autorités publiques, la FFR procédera à la désignation d’officiels de match supplémentaires lors des prochaines rencontres des associations concernées afin d’éviter de nouveaux débordements.

-> Les signalements au Procureur de la République
La répression ne peut pas s’envisager sans inclure le volet pénal. Dans cette optique, la FFR est habilitée à signaler au Procureur de la République tout fait susceptible de constituer une infraction pénale. Elle peut, de surcroît, se porter partie civile dès lors qu’un officiel de match ou un technicien a déposé plainte pour une agression physique, sous réserve que ladite plainte ait été jugée recevable.

-> Les signalements à l’autorité administrative par les clubs
Ceux-ci ont lieu dans le cadre de la loi du 8 mars 2024 visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport. Ce texte accroît le contrôle de l’honorabilité des éducateurs sportifs. Il instaure l’obligation, pour les fédérations sportives et pour les dirigeants de club, de signaler aux services de l’État les comportements à risque des éducateurs qu’ils
emploient ou de toute personne en contact avec des enfants présentant un danger.

-> La communication sur la plateforme de recueil des alertes
Cela implique d’expliquer la procédure d’utilisation de cette dernière aux acteurs du rugby.

Sylvain Deroeux : « Les ligues et les clubs sont véritablement acteurs de ce plan »

Le Secrétaire général de la FFR revient sur la genèse de ce Plan et se réjouit de l’accueil qui lui a été réservé par ses destinataires.

Ce qui caractérise cette charte, c’est son exhaustivité afin de ratisser le plus large possible…
Effectivement. Nous n’avons pas voulu faire de grandes déclarations mais, au contraire, un plan d’actions très concret et évolutif. D’ailleurs, il comprend aussi des initiatives qui ont déjà été prises au sein des clubs et des ligues. Le but était de donner une impulsion. C’est ce que nous avons fait.

Comment avez-vous procédé pour l’élaborer ?
Tout d’abord, nous avons analysé ce qu’il se passe sur le terrain pour définir les besoins mais aussi ce que les clubs avaient déjà mis en place de leur côté. Ensuite, nous avons regardé ce qui existe et ce qui a été fait dans les autres sports. Enfin, nous sommes allés voir ce qui est en vigueur dans divers domaines comme la prévention routière, les addictologies, etc. En résumé,
nous nous sommes inspirés de tout ce qui permet de lutter contre ces fléaux. Le but est d’éradiquer le mal à la racine et non pas d’être uniquement dans la sanction.

Où en est-on dans la mise en œuvre de cet arsenal ?
Nous avons identifié le fait que si nous voulons lutter contre la violence, il faut accélérer la répression. C’est pourquoi les règlements généraux de la Fédération ont déjà évolué en ce sens, notamment avec une meilleure qualification des infractions, une révision à la hausse des barèmes de certaines sanctions, une attention particulière portée sur la récidive, etc. Et cela va continuer afin que nous soyons plus efficaces. En matière de sensibilisation, des clips ont déjà été conçus et envoyés aux clubs. Pour ce qui est de la prévention, des gestes obligatoires ont été mis en pratique. Enfin, la formation des acteurs a débuté. En somme, tout a été lancé. Ce plan est donc déjà appliqué et même renforcé par des initiatives locales. Il est prévu qu’il soit déployé sur trois à quatre ans.

Sentez-vous les clubs enclins à jouer le jeu ?
Il y a une prise de conscience collective. C’est très important car on s’aperçoit que les violences augmentent. Les ligues et les clubs ont déjà réagi et sont véritablement acteurs de ce plan. Il y a une adhésion d’autant que tous sont concernés et, pour certains, gravement. Personne ne prend cela à la légère. Il en va de la vie ou de la mort de notre sport. Il est trop tôt pour établir un premier bilan afin de savoir si, oui ou non, on assiste à une éventuelle baisse du nombre d’infractions. Pour cela, il faut attendre la fin de la saison.

Avec le CFFP, un partenariat pour bientôt

À l’invitation du président de la FFR, Florian Grill, le Comité Français du Fair Play (CFFP), représenté par son président, Jean-Pierre Mougin, et son vice-président, Gérard Tugas, a échangé début février avec la Fédération sur les actions mises en place, par cette dernière, pour lutter contre les violences et promouvoir le fair-play. L’occasion de partager une vision commune d’un
sport sain, ainsi que les initiatives portées par les deux parties pour y concourir. Au point que l’une et l’autre ont convenu d’intensifier leur collaboration, avec pour objectif de développer des projets concrets et de renforcer la prévention dans le rugby.