La deuxième table ronde du Forum Santé mentale des sportifs, organisé le 21 mai par le CFFP, avait pour thème : « La santé mentale dans le haut niveau sportif et parasportif ». L’occasion d’entendre des témoignages aussi pertinents que bouleversants.

Alexis Ruffault : « La santé mentale, ce n’est plus uniquement l’absence ou la présence de troubles mentaux »

Chercheur en psychologie à l’Institut national du sport de l’expertise et de la performance (Insep).

« Depuis une petite dizaine d’années, la santé mentale, ce n’est plus uniquement l’absence ou la présence de troubles mentaux. Elle se situe sur un continuum bidirectionnel. On considère, en effet, qu’il y a deux axes : un axe entre je ne vais pas bien et je vais bien et un axe entre je ne vais pas mal et je vais mal. Ce sont deux choses différentes, puisque l’on peut être en détresse dans certaines sphères de notre vie, dans certains contextes, tout en étant relativement content ou épanoui dans d’autres sphères.

Il y a autant de risques chez les sportifs de haut niveau d’être sujet à un trouble de la santé mentale, sauf pour certains troubles, notamment les troubles de la conduite alimentaire qui sont inhérents à la pratique intensive du sport à haut niveau.

Est-ce que tous les psychologues peuvent être préparateurs mentaux ? La limite est un petit peu grise, parfois. Au sein de la Société française de psychologie du sport, nous avons des préparateurs mentaux qui sont venus nous voir afin de nous demander des contenus pour les aider lorsque le travail avec les athlètes dépassait le cadre normal d’accompagnement à la performance et devait être orienté vers un accompagnement psychologique. Nous sommes donc en train de construire un kit de premier recours, d’autant que toutes les formations de Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) et d’EOPS (Entraînement, optimisation de la performance sportive et nutrition) ne comportent pas ce type d’enseignements.

Il n’y a pas de muscles dans le cerveau. On a des compétences, des prédispositions et des ressources, mais on n’a pas de force mentale en tant que telle. Par ailleurs, on travaille depuis une quinzaine d’années sur une approche qui n’est plus orientée sur les troubles pour savoir s’il y a présence ou absence de l’un d’eux. Ce n’est pas qu’une histoire de continuum. Cette approche transdiagnostique postule qu’il y a des processus psychologiques, par exemple des processus motivationnels cognitifs sur nos pensées, des processus émotionnels, des processus métacognitifs, etc. Et donc, des pensées que l’on a sur nous-mêmes et des comportements que l’on adopte qui vont être plutôt adaptatifs ou plutôt non adaptatifs pour notre développement, notre fonctionnement et notre santé mentale. Ainsi y a-t-il plusieurs formes de perfectionnisme. Il y a les gens qui vont tout mettre en œuvre pour atteindre la perfection, ce qui est plutôt adaptatif dans le sport de haut niveau, et ceux qui vont avoir peur des échecs, ce qui est plutôt mal adaptatif. »

Ysaora Thibus : « Considérer les gens comme des humains et pas uniquement comme des machines à médailles »

Escrimeuse, médaillée aux Jeux olympiques de Tokyo.

« Dans le milieu sportif, la performance est tellement mise au-dessus de tout qu’en tant qu’athlète, parfois, on délaisse notre bien-être et notre santé mentale. En 2017, après mes deuxièmes Jeux olympiques à Rio, je suis partie de l’Insep pour aller aux États-Unis. A ce moment-là, j’étais vraiment très isolée du groupe et de la fédération. Personne ne prenait vraiment de mes nouvelles et j’étais un peu dans une impasse.

J’ai eu besoin de recourir à un accompagnement psy. J’ai commencé à travailler avec Meriem Salmi. C’est la première personne de mon entourage sportif qui m’a dit que pour être performant, il faut être heureux et qui m’a parlé de mon bien-être. Je n’avais vraiment jamais entendu ça, que mon bien-être était important et devait être considéré. A ce moment-là, j’avais l’impression de ne pas être une athlète digne d’être championne parce que parfois, j’étais fatiguée et je n’arrivais pas à faire certaines choses. Je n’arrivais pas à dire « non, je ne peux pas » à mon entraîneur. Je me suis rendue compte que tout ce qu’il y a autour des entraînements est aussi utile à la performance et que ce qu’il y a en dehors des salles de sport est aussi important pour mon bien-être et être performante.

Aller voir un psychologue fait vraiment partie de ma recherche d’optimisation de la performance. C’est une vraie ressource pour se sentir bien dans un milieu qui demande énormément et qui, mine de rien, est très égoïste. On dit que ce sont les athlètes qui sont égoïstes, mais c’est le sport qui demande énormément aux athlètes. Du coup, avoir ces ressources-là pour aller plus loin, optimiser notre performance et être bien dans notre peau est essentiel.

Or, il y a encore ces problèmes d’information sur ce à quoi on a droit. Toutes les démarches, ce sont les athlètes qui doivent les faire pour aller vers ces ressources. Ma fédération ne m’a jamais poussée ni ne m’a jamais dit : « Tu as droit à ça. À l’Insep, il y a telle ou telle chose. » C’est un problème. Les fédérations et les entraîneurs doivent prendre conscience qu’il est important que les psychologues soient inclus dans les staffs. Il y a eu de nombreuses fois où j’ai dû me battre pour que ma psychologue puisse être acceptée lors d’un déplacement. Il y a plein de freins pour pouvoir avoir un accompagnement serein et concret. Pour tout ça, c’est aux athlètes de trouver des solutions. 

J’ai eu l’impression d’avoir eu plusieurs épisodes dépressifs en étant athlète, justement parce que la gestion des émotions, c’est compliqué. Il y a des burn-out et des dépressions. L’aspect humain et tout ce que l’on peut vivre en tant qu’athlète, avec des hauts et des bas, était complètement invisibilisé. C’était très dur car il y a cette image de l’athlète infaillible, qui ne peut pas être vulnérable, qui ne peut pas avoir de fragilité. La première fois que j’en ai parlé, cela a été très difficile et j’ai reçu énormément de remerciements de la part d’athlètes.

Je me suis posé la question : « Est-ce que c’est parce que je suis perfectionniste que j’en suis arrivée là ? Est-ce que c’est parce que je suis tout le temps insatisfaite de la victoire ? Est-ce que c’est parce que ça m’attriste tellement de perdre qu’en fait, je donne tout pour gagner ? » Mais, à un moment donné, je me suis rendu compte que ce n’était pas les bons schémas de pensée. Je me suis dit : « Mais si je suis heureuse de gagner et que ça me va de perdre, est-ce que j’arrêterai de gagner ? » On se tape tellement sur la tête en tant qu’athlète que ce n’est pas viable psychologiquement d’être dans ces états-là. Du coup, on se demande : « Est-ce qu’il faut que je travaille plus que tout le monde ? » Donc on se met dans des situations de burn-out. On se dit que si l’on n’est pas capable d’aller dans cette zone rouge, on n’arrivera pas à être champion.

Pourtant, il y a une possibilité de travailler en bon équilibre, de faire des pauses et des récupérations. Quand j’ai commencé le haut niveau, la récupération n’était pas du tout perçue comme quelque chose de bénéfique pour la performance. Il fallait tout le temps travailler. Or, il a été prouvé que faire des pauses, même psychologiquement, permet de mieux intégrer les choses et de mieux apprendre après.

Tout cela pousse les athlètes à se mettre dans certaines situations et à adopter des schémas de pensée qui les rendent malheureux. Parce qu’il ne faut pas nécessairement vivre des traumatismes pour être un champion, ni avoir absolument des limites à dépasser. Cela ne rend pas plus fort ni plus résilient. Être dans les meilleures conditions pour performer, c’est ce qui fonctionne. Je suis d’accord avec le fait que l’on puisse parler des résultats. Mais cela ne peut pas être au-dessus de tout et, d’abord, de considérer les gens comme des individualités, comme des humains et pas uniquement comme des machines à médailles.

Les athlètes sont intelligents. On croit qu’ils ne sont pas capables de décider pour eux. Il faut se mettre autour de la table et se dire : « Ça, c’est possible, ça, ce n’est pas possible mais on va trouver des solutions pour mettre en œuvre les choses les plus optimales avec les ressources que l’on a et on va travailler en bonne intelligence. » Au moins, l’athlète aura le sentiment que tout le monde a essayé de créer le projet le plus performant possible pour lui. C’est essentiel. Le haut niveau, c’est du sur mesure. Il faut rechercher la flexibilité, l’individualisation et l’optimisation. Je ne comprends pas que l’on dise : « Parce qu’on ne l’a jamais fait ou parce que l’on a décidé que c’était de telle façon », et que l’on ne puisse pas changer. Il y a des modèles mais le seul modèle qui est bon, c’est le soi, donc c’est le sportif, en fait. C’est la notion d’autodétermination. La meilleure personne qui sait ce dont elle a besoin, c’est l’athlète.

Les entraîneurs devraient être suivis et se faire suivre aussi. Eux aussi gèrent beaucoup d’émotions et des objectifs très élevés. Or, ils ne sont pas formés pour ça. Je trouverais très intéressant qu’il y ait un travail fait avec eux pour les aider et leur donner des ressources et des outils. »

Renaud Clerc : « Passer chez un psy m’a fait retrouver ma liberté individuelle d’exister »

Athlète paralympique.

« La problématique de la santé mentale est-elle différente quand on dispute les Jeux paralympiques par rapport aux Jeux olympiques ? Cela dépend comment on vit son handicap. Moi, j’ai la chance d’avoir un handicap peu visible et qui répond à des codes sociétaux qui sont plutôt agréables. Dans la construction de l’humain et de l’homme que je suis, à un moment, pour moi, la question du handicap s’est posée. La problématique du handicap peut effectivement être importante dans la construction d’un sportif de haut niveau, mais aussi de la femme ou de l’homme qu’il est.

Je me suis demandé quelle était ma place dans le circuit valides et dans le circuit para. Il fallait que je la trouve. Et comme tous les sportifs, j’ai commencé par la préparation mentale, laquelle n’est pas un suivi psy. Ensuite, je me suis dirigé vers une psychologue, Nathalie Simorre, avec qui nous avons d’abord fait un travail sur l’homme que je suis et sur le handicap que je porte. Et, aujourd’hui, je l’ai complètement intégré à ce que je suis.

Je suis passé chez un psy aussi parce que je me suis dit que les autres n’étaient pas responsables de mes traumatismes et de ce que j’avais intégré de douleur en moi. Je ne voulais pas faire porter sur mon entourage les traumas et la difficulté que j’avais à exister dans cette société. Tous les sportifs doivent passer par un suivi psy parce que le sport de haut niveau, l’élite et l’excellence poussent à un formatage. Il y a plusieurs façons de gagner, mais on nous propose une façon de gagner, une voie à suivre. Passer chez un psy m’a fait retrouver ma liberté individuelle d’exister, ainsi que sur les questions qui ont trait à l’humain, à la masculinité, à la féminité, etc. Il est très important, pour un sportif de haut niveau qui veut être performant, de pouvoir être libre. Parce que quand on court devant 80 000 personnes au Stade de France, la première question, avant de se demander si l’on va être performant, c’est d’être d’accord avec soi-même. On se dit : « Je vais courir devant 80 000 personnes, mais qu’est-ce que les gens vont penser de moi, de ma coupe de cheveux, etc. ? » C’est déjà là que la performance commence.

La pression et la santé mentale, si elles ne sont pas gérées en amont, peuvent être un cocktail explosif parce que le sport de haut niveau, c’est s’exposer à plein de personnes qui nous regardent, qui nous jugent et qui vont penser quelque chose de notre performance et de notre paraître, de notre physique, etc. Il est très important d’être en accord avec qui on est.

Il y a une sorte de dilution qui est exercée par les préparateurs mentaux. En effet, les coachs ont beaucoup plus de facilité à diriger les athlètes vers des préparateurs mentaux que vers des psychologues, car c’est beaucoup accepté. Cela dilue quelque peu le suivi psychologique. En athlétisme, on est quand même dans un milieu très gladiatorial et masculin. Tout n’est pas à jeter dans la préparation mentale, mais elle n’est pas soumise au même code de déontologie que le suivi psychologique. Par exemple, faire payer un forfait à un athlète à l’année permet aussi de raccrocher des sportifs en détresse qui ne veulent pas aller voir des psychologues ou qui n’ont pas les connaissances pour se dire que ce n’est pas la même chose.

Il faut absolument que le sport de haut niveau opère un retour à l’intellectuel, s’analyse lui-même et arrête de faire constamment du subjectif. Il doit vraiment se poser des questions objectives et intellectuelles sur qui sont les athlètes, qui est en souffrance et comment le résoudre. On ne peut pas juste parler des sensations, de ce que l’on ressent, etc.  »

Sandrine Destouches : « La santé mentale n’est pas un luxe, c’est une condition d’humanité »

Psychologue, experte en santé mentale et membre du Conseil d’administration du Comité paralympique et sportif français (CPSF).

« On a fait le constat qu’effectivement, il y a ce continuum de la santé mentale, du bien-être jusqu’aux troubles mentaux, sans compter ceux qui ont des troubles psychiques dans leur neurodéveloppement, ce qui est encore autre chose. Quand on est dans une pratique loisir, on est dans le bien-être et dans la santé. On recherche le plaisir. Et quand on devient sportif de haut niveau, on bascule de plus en plus vers le stress, la dépression, les troubles du comportement alimentaire, les addictions puisque la pression de la performance peut devenir un facteur de vulnérabilité.

Mais cen’est pas automatique. Le bien-être est alors un levier pour optimiser la performance. Nous avons une approche centrée sur l’individu. Quelles ressources a-t-il ? L’environnement proche, la famille, les institutions, la fédération, dans quel pays il vit et surtout, quelle est la culture du sport et quels moyens il a à sa disposition. On pourrait même rajouter un volet anthropologique, puisqu’il y a des pays qui ont une politique plus ou moins inclusive.

Nous avons identifié des facteurs protecteurs et des facteurs de vulnérabilité. En matière de santé mentale, on a les ressources internes et l’environnement avec, à la clef, l’homéostasie qui est un équilibre entre les deux. En effet, nous gérons notre santé mentale en fonction de comment on se sent à l’intérieur de soi et de ce que l’environnement nous renvoie. Il y a aussi la plasticité cérébrale qui fait que l’on peut évoluer, se développer dans la cognition, etc. L’enfance est déterminante. C’est là que tout commence. Comment suis-je éduqué ? Comment l’école valorise-t-elle mes compétences ? Valorise-t-elle plutôt ce qui ne va pas ou plutôt que ce qui va bien ? A cela s’ajoute l’action de l’environnement qui modifie un peu notre patrimoine génétique. Cela s’appelle l’épigénétique. C’est pourquoi un bon psychologue clinicien doit comprendre d’où vient le sportif, son environnement familial et social, son passé, etc. La spécificité, c’est le manque d’inclusion, la stigmatisation et le rejet.

L’environnement est important. Les personnes les plus heureuses et celles qui ont le moins de problèmes de santé avérés sont celles qui se sentent le plus entourées. On a beau avoir des ressources internes, sans le collectif, sans l’appui communautaire, sans l’appui des fédérations et des politiques, cela hypothèque un peu la suite. Si l’on est tous ensemble et tous liés, si l’on a un environnement favorisant, on a quand même plus de chances d’aller mieux et de mieux performer.

Les fédérations doivent se questionner sur la place du psychologue dans le staff des équipes de France. Il y a là, me semble-t-il, un peu un manque. La santé mentale n’est pas un luxe, c’est une condition d’humanité. On ne va évidemment pas tout régler, mais on va aller chercher les facteurs bloquants. »

Propos recueillis par Alexandre Terrini