La troisième table ronde du Forum Santé mentale des sportifs, organisé le 21 mai par le CFFP, avait pour thème : « Les perspectives et les démarches préventives ». L’occasion de passer en revue nombre de bonnes pratiques déployées ou recommandées.

Agnès Hélias-Péan et Alexis Lavaine : « Pour la population générale, le sport, c’est une élite »

Psychomotriciens au CHU Paul Guiraud, à Villejuif (94).

« On nous a demandé de faire faire de l’activité physique à des patients qui ont un trouble en santé mentale pour les remettre dans quelque chose qui soit de l’ordre du mouvement et de la thérapie non médicamenteuse. Et ce, pendant une hospitalisation, ce qui marche très bien. Cela leur remet le pied à l’étrier et leur redonne envie de faire quelque chose de leur vie et de leur corps, de ne pas seulement subir la maladie mais d’être actifs durant un moment difficile de la vie.

Après l’hospitalisation, on leur dit : « Allez-y mais retournez dans le sport, reprenez votre activité. » Or, sur les 600 patients que nous voyons en moyenne par an, la majorité n’avait aucune activité physique. Par ailleurs, le travail que l’on fait avec eux durant trois semaines, un mois, six mois d’hospitalisation est trop court, sachant qu’après, il n’y a plus rien pour ces gens-là. Nous avons donc développé une maison sport-santé pour proposer aux personnes sorties de l’hôpital, mais aussi à celles qui ne sont jamais passées par l’hôpital, de pouvoir pratiquer de l’activité physique, ce qui nécessite un dispositif particulier.

Quand on va mal, il est compliqué de s’imaginer intégrer une fédération sportive, de faire de la compétition, d’être régulier chaque semaine dans une pratique pour progresser. Pour la population générale, le sport est réservé à une élite : on se dit qu’il faut déjà avoir un corps de sportif et un niveau de sportif pour commencer le sport… Pareil pour les patients qui ont des traitements avec des effets secondaires, qui prennent des antidépresseurs ou des antipsychotiques qui peuvent provoquer des tremblements. Dans notre maison sport-santé, nous avons créé plein d’activités qui sont encadrées par des thérapeutes, des psychomotriciens ou des enseignants en activité physique adaptée. Et… on s’adapte.

On ressent des sensations malgré la maladie, malgré les traitements. En fait, on peut vivre quelque chose avec son corps. C’est ce premier élan que nous impulsons dans notre maison sport-santé. On ne se fixe justement pas sur la question de la performance sportive, mais sur la question de la sensation dans le corps, la prise de plaisir, l’aspect ludique, le collectif, le fait d’être ensemble pour que les patients se rendent compte qu’en fait, ils peuvent le faire. On les amène à se sentir, à un moment donné, valorisés dans leurs compétences, au-delà de l’activité physique qui, elle-même, permet plein de choses, car c’est un antidépresseur et un anxiolytique.

C’est cela l’intérêt des maisons sport-santé, mais aussi du sport-santé dans les fédérations. Il est essentiel qu’il y en ait dans toutes les fédés. C’est très important parce que cela nous permet de réaiguiller les personnes, notamment celles qui n’ont pas de maison sport-santé près de chez elles. Il faut que toutes les fédés puissent le proposer, pour que ce soit une porte d’entrée vraiment axée sur la prise de plaisir dans l’activité physique, pour, ensuite, se mettre au sport loisir et, pourquoi pas, au sport en compétition. C’est cette graduation que nous venons proposer parce que la santé mentale ou un passage à vide dans la vie, c’est un vrai handicap pour pratiquer de l’activité physique. »

Mickaël Campo : « Nous avons sensibilisé les entraîneurs et nous avons changé la norme »

Responsable de la préparation mentale au sein de la Fédération française de rugby et Président de la Société française de psychologie du sport.

« La dimension mentale nécessite d’être clarifiée et d’être structurée. Ce métier est un secteur dérégulé car tout le monde peut se proposer comme préparateur mental. Cela pose d’énormes problèmes parce que ça peut noyer les bonnes initiatives avec des gens pourtant très compétents. De plus, cela peut amener beaucoup de personnes à se déclarer préparateur mental et à prendre des positions professionnelles. Il s’agit parfois de personnes qui ne sont pas formées et qui, elles-mêmes, forment les autres…

Nous avons un train de retard sur ce sujet par rapport aux nations les plus avancées. C’est une question de responsabilité des institutions. Tant que l’on ne structure pas et que l’on ne réglemente pas, on ne peut pas formaliser les compétences nécessaires pour pouvoir faire de l’accompagnement, que ce soit pour de la performance ou pour la santé. Comme on est dans les sciences humaines, tout le monde peut avoir cette sensation d’être compétent. Il est très difficile de faire le tri tant qu’il n’y a pas de cadres très clairs, des institutions qui disent : « Quelqu’un de compétent, c’est quelqu’un qui coche ces cases-là. »

Ce serait une erreur d’associer la performance de l’athlète à la préparation mentale. En effet, c’est une hérésie de penser que l’on est associé directement à la performance. On est sur du gain marginal. Pour autant, à une époque, j’ai beaucoup milité pour convaincre que la préparation mentale, c’est important. Je suis encore surpris qu’il y ait des fédérations qui en soient toujours à ce stade.

Pour ce qui est de la Fédération française de rugby, je crois que l’on a passé le cap de devoir convaincre. Nous avons formé les entraîneurs. Nous les avons sensibilisés et nous avons changé la norme. Avant 2019, il y avait des initiatives pour adjoindre des préparateurs mentaux aux équipes, mais rien n’était coordonné ni structuré. Et les entraîneurs ne voulaient pas de préparateurs mentaux parce qu’ils estimaient que c’était leur pré carré et que ça leur enlevait une part d’autorité. Mais on voit qu’il y a beaucoup de fantasmes derrière cela. Or, quand on les sensibilise, ils voient bien que ce n’est pas du tout le cas. Ils intègrent ce paramètre dans la planification de l’entraînement et s’en font les promoteurs. Il n’y a plus de questions qui se posent. Et lorsque cela devient important pour l’entraîneur et fait partie du plan de performance, les athlètes ne se posent, à leur tour, plus la question. Mécaniquement, c’est générationnel puisqu’à partir du moment où l’on forme les entraîneurs, ils vont coacher des joueurs qui eux-mêmes vont devenir entraîneurs et qui ont l’habitude de la préparation mentale.

L’entraîneur, c’est le premier préparateur mental de l’équipe et des joueurs. C’est une métaphore, mais il a une influence considérable sur les états psychologiques de l’athlète et de l’équipe. En ce sens, il a besoin d’avoir des connaissances dans ce domaine et de pouvoir être accompagné d’un expert. En outre, parmi ceux qui morflent, il y a les staffs. Il faut bien comprendre ça. Les staffs aussi font tous les tournois, toutes les compétitions. Il est donc fondamental de s’occuper d’eux parce que finalement, c’est quand même eux qui prennent aussi soin de leurs athlètes. »

Jean-Pierre Masdoua : « A un moment donné, le sport, ce n’est pas une fin en soi »

Entraîneur de la Fédération française de savate, boxe française et disciplines associées.

« Il y a beaucoup plus de points communs que de différences et d’opposition entre les jeunes des quartiers chics et ceux des Quartiers de la politique de la Ville (QPV). En fin de compte, ce qui les rassemble, c’est aussi un petit peu cette incertitude vis-à-vis de l’avenir, cette incertitude d’une manière générale dans leur projet de vie et tout ce que cela peut avoir comme effet au niveau mental et du ressenti.

A un moment donné, le sport, ce n’est pas une fin en soi. Le sport, c’est fait pour être mieux dans sa vie. Si on a cette conception-là, les choses sont déjà un petit peu plus claires avec les athlètes, avec les jeunes. Tu fais du sport, tu n’es pas obligé de faire du haut niveau mais, en tout cas, tu dois te sentir mieux à l’issue de ta pratique. C’est fondamental pour pouvoir armer les gens au niveau physique, forcément, mais aussi mentalement avec cette recherche, en fin de compte, de la construction de quelque chose. Et construire quoi ? Sa vie, son projet de vie. Pour la jeunesse, à un moment donné, il y a cette idée de se construire à travers la confrontation. Et c’est pour ça que pour les sports, notamment pour les sports d’opposition, il est intéressant d’avoir cette jeunesse qui est en recherche de sensations un peu plus fortes.

Il est assez facile de passer du sport à la vie quotidienne puisque les contraintes réglementaires renvoient à la loi, l’arbitre aux gendarmes, le juge qui donne le verdict au jugement. Il y a beaucoup de parallèles comme ça. Nous essayons donc de susciter des vocations et de faciliter, chez les jeunes et même les très jeunes, cette vision pour qu’ils puissent se projeter et savoir comment, dans leur sport, ils peuvent rentabiliser et optimiser leur pratique afin que cela leur serve dans leur vie de tous les jours et leur vie future. »

Bernard Schittly : « La question de la technique de méditation pleine conscience, quand on est sous l’eau avec un détendeur en bouche, ne se pose pas »

Président adjoint de la Fédération française d’études et de sports sous-marins.

« Toutes les techniques ou presque de conditionnement de préparation mentale, de relaxation et de bien-être passent par le « full mindedness », la méditation pleine conscience. Et la question de la technique de méditation pleine conscience, quand on est sous l’eau avec un détendeur en bouche, ne se pose même pas puisque l’on est concentré sur la respiration. C’est la respiration qui nous équilibre, qui nous permet de garder notre niveau de stabilisation. Et les idées que l’on a ont trait à ce qu’il se passe autour de nous. Ce sont donc des pensées positives. On regarde les poissons, les coraux, le relief sous-marin et l’on se sent extrêmement bien. C’est une technique de sophrologie extraordinaire. Et puis nous avons également un avantage qui est la rémanence : l’effet de bien-être va être très prolongé, ce qui est quelque chose d’extrêmement positif. En remontant à la surface, on est quasiment sûr qu’une personne dépressive ira mieux.

Le plus dur, c’est d’arriver à la motiver pour qu’elle vienne faire du sport, parce qu’il y a une énorme inhibition de sa part. Mais une fois qu’elle est là, elle se rend compte des bienfaits, à la fois physiques liés à l’immersion, à l’apesanteur, à la respiration mais également des bienfaits sociaux inhérents à toute structure associative où l’on rencontre des gens et où l’on échange avec eux, si bien que l’on se sent considéré différemment. »

Jérôme Bertin : « Il est également nécessaire d’intervenir en amont des situations de victimisation »

Directeur général de France Victimes.

« Il y a des situations de mal-être, voire de traumatisme qui sont liées à des événements qu’un sportif a pu vivre. C’est là où le réseau France Victimes, qui n’est pas, au départ, dédié spécifiquement aux sportifs, intervient. La grande idée qu’avait eu Robert Badinter, il y a plus de quarante-trois ans, c’est de mettre en place des associations qui aidaient toute personne victime, quels que soient le sujet et le contexte, en considérant que tout le monde a le droit à une prise en charge, à une solidarité et à un accompagnement. À ce titre-là, évidemment, les sportifs font aussi partie du public que nous recevons. Nous avons notamment mis en place un numéro dédié à la demande de certaines fédérations, notamment de football.

Les fédérations travaillent depuis pas mal d’années sur le sujet de la violence dans le sport. Et quand on travaille sur ces sujets, on identifie très souvent le réseau France Victimes comme étant un acteur qui peut intervenir a posteriori. Lorsque les événements ont eu lieu ou ont été révélés, nous allons pouvoir, avec nos équipes (soit 1 700 professionnels dont 380 psychologues), apporter un accompagnement de A à Z à la victime. Et ce, sur le plan psychologique, juridique, social, voire judiciaire.

Néanmoins, il est également nécessaire d’intervenir en amont des situations de victimisation. On va alors parler de formation des professionnels du sport, lesquels  sont de plus en plus demandeurs pour être formés sur la thématique des violences. D’ailleurs, nous le leur proposons. Les professionnels ou les bénévoles des fédérations sont souvent démunis face à la libération de la parole relative aux actes violents. Ils ne savent pas forcément quoi et comment répondre. C’est aussi notre rôle de les former, notamment les éducateurs et les encadrants. Le deuxième niveau d’intervention, en amont, c’est la sensibilisation des sportifs eux-mêmes. On est dans une communauté sportive qui touche certes toute la société, mais notamment aussi beaucoup de jeunes et de mineurs. Il faut absolument les sensibiliser à ce qu’il peut se passer dans ce cadre-là. Le troisième niveau, c’est d’anticiper la mise à disposition de réponses ou de structures qui peuvent répondre, en somme, de lieux ressources. On parle là de libération de la parole. Il faut des endroits pour déposer cette parole et où on en fait quelque chose. C’est également l’occasion de mettre en place des numéros dédiés, des cellules, ou encore des « safe places » sur les lieux de grandes compétitions, même pour y relater quelque chose qui, peut-être, ne s’est pas passé durant la compétition.

Tout le monde ne libère pas sa parole et ne prend pas l’initiative de révéler les faits. C’est pourquoi il faut mettre en place des process. C’est ce que nous faisons avec certaines fédérations, avec des comités à travers des partenariats. A la clef, la possibilité de nous saisir pour que le professionnel de l’aide aux victimes aille au-devant du sportif pour lui proposer une aide et un soutien. Il existe, a minima, un numéro national, le 116006, qui n’est pas le nôtre et qui dépend du ministère de la Justice. Il s’adresse à toutes les personnes victimes. Et puis, il arrive que des fédérations nous demandent de mettre en place un numéro dédié qui les concerne. Cela nous permet d’identifier que l’appel vient de telle ou telle communauté sportive et de fournir des informations à la personne qui nous appelle, au regard de ce qu’elle a subi, dans la mesure où nous travaillons en partenariat avec sa fédération.

En cas de violences répétées, dont celles dans le sport font partie, on a souvent des difficultés à prendre conscience que l’on est victime de ces violences. En outre, quand on veut entamer des démarches, il y a une difficulté à constituer des preuves et à recenser des indices de ce qui a pu se passer. C’est pourquoi nous avons mis en place, depuis trois ans, un outil qui s’appelle Mémo de Vie (www.memo-de-vie.org). Il s’agit d’une plateforme numérique, sécurisée, confidentielle et qui respecte toutes les normes du RGPD. Elle permet justement à une personne victime de violences répétées, d’historiciser un vécu. On note sur un journal tout ce qu’il se passe, le bien comme le moins bien, les faits de violences ou autres, peut-être moins violents mais qui questionnent. Et on peut aussi sauvegarder des éléments (des écrits, des SMS, des audios, des vidéos, des indices) qui serviront peut-être de preuve, mais aussi des documents personnels importants comme des certificats médicaux. D’ailleurs, les tribunaux reconnaissent de plus en plus que les comptes Mémo de Vie ont leur utilité. »

Propos recueillis par Alexandre Terrini