
La première table ronde du Forum Santé mentale des sportifs, organisé le 21 mai, par le CFFP, avait pour thème : « État des lieux de la situation actuelle des Français et des sportifs ». L’occasion de se livrer à un état des lieux… guère rassurant.
Le Forum a été brillamment animé par Frédéric BRINDELLE, journaliste à Sud Radio

Frédéric BRINDELLE – Journaliste

Lucile LACOSTE – Responsable pôle performance sociale Fédération Française des Clubs Omnisports / Frédéric BRINDELLE – Journaliste / Karine DUPOUY – Sportive Pharmacienne Spécialiste en neurosciences (CFFP) / Maria MELCHIOR – Directrice de recherche à l’INSERM
Lucile Lacoste : « Les gens veulent davantage faire du sport pour le plaisir que pour la performance »
Responsable du pôle performance sociale de la Fédération française des clubs omnisports.
« Les clubs sont, de fait, un lieu où l’on est dans l’inclusion et la mixité sociale. On y construit ensemble un espace bienveillant. C’est important car le club peut vraiment avoir un impact sur le mental d’une personne et sur un collectif. Nos clubs sont à même d’accompagner la santé mentale des pratiquants. Pour cela, ils travaillent en partenariat et non pas en silos.
A la Fédération française des clubs omnisports, on fonctionne par typologie de public. Pour ce qui est des enfants et des adolescents, on s’est rendu compte, dans la prise en charge des 4-9 ans, de l’augmentation de l’anxiété et des difficultés relationnelles chez l’enfant. C’est pourquoi nous travaillons sur des activités non compétitives centrées sur l’éveil émotionnel, l’apprentissage de la gestion des émotions par le jeu ainsi que sur le développement du lien social et la coopération. Concernant les femmes, nous prenons en charge celles qui ont été victimes de violences sexistes, sexuelles ou conjugales en travaillant autour de la danse thérapie pour les aider à se réapproprier leur corps. Sans compter des ateliers marche-discussion destinés à libérer la parole, à lutter contre la surcharge mentale afin de favoriser une approche efficace de l’isolement et des non-dits familiaux. Les seniors souffrent également d’isolement mai aussi de perte d’autonomie et d’un manque d’activités adaptées. A la clef, une méthode qui associe le son de la relaxation et la stimulation cognitive dans une approche douce et sensorielle. Autres offres, la lecture en mouvement qui permet une expression corporelle à partir des textes ou encore, des activités mêlant exercices physiques et cognitifs pour stimuler la mémoire et la concentration ainsi que des séances en groupe afin de rompre l’isolement et de recréer du lien social. Autre public, les personnes en situation de handicap qui ont un besoin d’être valorisées et dont on favorise la confiance en elles par des activités adaptées. Enfin, les personnes vulnérables en situation de grande précarité, par exemple en situation de décrochage scolaire, sous-main de justice. Là, des dispositifs sont mis en place pour les aider à retrouver une hygiène de vie, à recréer du lien social, à retrouver de l’estime de soi, à se remobiliser et à prendre soin d’elles.
Les fédérations affinitaires ont bien compris qu’aujourd’hui, les gens veulent davantage faire du sport pour le plaisir que pour la performance. C’est un fait essentiel à prendre en compte si l’on veut que l’offre de pratiques corresponde à la demande. Par ailleurs, les éducateurs et les éducatrices ont longtemps été des rôles modèles. Aujourd’hui, notamment pour ce qui est de la pratique loisir, il y a des choses qui ne peuvent plus être dites et faites comme avant. On ne peut plus tout faire tandis alors les parents ne vont plus forcément dans le sens de l’encadrant. »

Lucile LACOSTE – Responsable pôle performance sociale Fédération Française des Clubs Omnisports / Frédéric BRINDELLE – Journaliste / Karine DUPOUY – Sportive Pharmacienne Spécialiste en neurosciences (CFFP) / Maria MELCHIOR – Directrice de recherche à l’INSERM
Karine Dupuy : « Le plaisir, un facteur garant d’une bonne santé mentale »
Sportive, pharmacienne et spécialiste de neurosciences.
« La santé mentale ne se résume pas aux troubles et à la souffrance psychique. Elle concerne aussi tout un ensemble d’indicateurs qui permettent à l’individu de se sentir bien et d’être en mouvement aussi bien au niveau de son corps que de sa tête. En l’occurrence, être quotidiennement en pleine capacité cognitive pour continuer à apprendre ; s’aimer et ressentir l’estime de soi ; le rêve et les processus créatifs. Les facteurs qui influencent la santé mentale sont, en premier lieu, nous-mêmes en tant qu’individus, c’est-à-dire l’aspect génétique ; ensuite, notre capacité à gérer nos émotions et nos relations ; enfin, la composante psychosociale c’est-à-dire l’individu dans son environnement ainsi que le facteur sociétal.
La jeunesse a l’impression que quand elle entreprend quelque chose et y met beaucoup d’énergie, cela doit forcément fonctionner. On est dans le culte de la réussite parce que l’on a basculé dans un monde visuel. D’où la nécessité d’un bon usage des écrans alors même que des équipementiers demandent à des jeunes athlètes d’avoir un nombre minimal de followers pour continuer à les équiper, ce qui, inévitablement, leur embrouille le cerveau, voire altère leurs fonctions cognitives. A noter que la conduite addictive est décorrélée du temps de pratique. Ce n’est pas parce que celui-ci est important que l’on est addict. Ce sont les conséquences de la pratique qui font qu’on l’est ou pas.
Par ailleurs, prépare-t-on les athlètes de haut niveau à accepter l’imprévisible (une blessure, un échec…) ? Que les enfants et adolescents soient voués à faire carrière ou pas, il ne faut pas oublier pourquoi ils sont là et surtout ne pas oublier la notion de plaisir. En effet, c’est un facteur garant d’une bonne santé mentale. Sans plaisir, les fonctions cognitives, comme la concentration, sont altérées. Dès lors, la performance est impossible et l’on bascule dans quelque chose de délétère. Le sport est également un vecteur d’ascension sociale. Ce qui génère aussi beaucoup de pression, notamment chez les personnes issues des Quartiers prioritaires de la Ville (QPV). De son côté, le sport santé a permis d’amener tout un public adulte vers le mouvement alors qu’il était jusque-là dans le trop peu (de mouvement) pour être bien dans sa tête, dans son corps et en termes de lien social. Il est important de développer cette approche à l’intention des plus jeunes. Et, de manière générale, de parler non pas forcément de sport mais de mouvement. Et ce, à l’heure où beaucoup de gens n’arrivent plus à dormir et où l’on constate une augmentation considérable du nombre de prescriptions d’antalgiques et de leur consommation, notamment de Doliprane. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre l’accent sur la prévention primaire. »

Frédéric BRINDELLE – Journaliste / Karine DUPOUY – Sportive Pharmacienne Spécialiste en neurosciences (CFFP) / Maria MELCHIOR – Directrice de recherche à l’INSERM
Maria Melchior : « L’offre de pratiques est souvent beaucoup orientée sur la compétition »
Directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
« 13 millions de Français sont touchés par des problèmes de santé mentale. Le Covid-19 a été un tournant car on a alors une augmentation des symptômes de dépression, d’anxiété et des problèmes de sommeil au sein de la population. Les femmes ont été plus touchées par l’impact psychologique de la pandémie ainsi que les plus jeunes et les personnes en situation de précarité. Globalement, après l’épidémie de Covid-19, les choses sont plus ou moins revenues à la normale sauf pour les adolescents et les jeunes adultes pour lesquels les symptômes d’anxiété, les tentatives de suicide et les hospitalisations pour des crises psychologiques préoccupantes sont, encore aujourd’hui, à des niveaux quasiment aussi élevés que pendant la pandémie.
Plus largement, la prévalence de certains troubles sévères comme les troubles bipolaires, psychotiques et autistiques n’a pas évolué au sein de la population. Pour ce qui est de l’anxiété, de la dépression et du mal être, ils sont plus fréquents qu’il y a dix ans, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes. Le Covid-19 y a contribué mais aussi la crise environnementale, la guerre, la pression scolaire et l’avenir. La santé mentale est d’ailleurs complètement multifactorielle et la plupart de ses déterminants sont en dehors du système de santé
Une activité sportive régulière favorise le bien-être physique et permet, à la fois, de créer des liens et de gérer le stress. Or, plus 40 % de la population et 70 % des adolescents ne pratiquent pas l’activité physique quotidienne préconisée par le Plan national nutrition santé (PNNS). Il reste donc beaucoup de travail à faire pour favoriser l’activité physique.
Par ailleurs, une enquête de la Fondation FondaMental, en septembre 2024, révèle qu’un athlète de haut niveau de 16 à 25 ans sur cinq exprime un mal être et déclare un symptôme de dépression. En outre, un sur quatre présente des symptômes d’anxiété tandis que 40 % ont des problèmes de sommeil. Ces problème sont particulièrement liés à des stress spécifiques au sportif, que ce soient la compétition, l’angoisse de se blesser ou l’isolement car il n’a pas toujours le temps d’avoir une vie sociale qui pourrait le protéger.
Sans compter la pression que les parents font peser sur leurs enfants en matière de sport, laquelle rejoint la pression scolaire. La professionnalisation des métiers du sport a également un impact sur la pression que mettent certains entraîneurs sur les enfants. Avec, la clef, pour ces derniers, un risque de surinvestissement dans le sport et de laisser tomber leur scolarité. Peut-être, y a-t-il aussi des choses à régler de ce côté-là… Enfin, l’offre de pratiques est souvent beaucoup orientée sur la compétition, notamment pour les adolescents, si bien que l’on peut avoir l’impression que l’offre de loisirs manque un peu, notamment à l’intention des jeunes moins investis. »

Dans la prochaine Newsletter de juin seront présentées les synthèses des tables ronde N°2 « La santé Mentale dans le haut niveau sportif et parasportif » avec Sandrine DESTOUCHES, Alexis RUFFAULT, Ysaora THIBUS et Renaud CLERC et N°3 « Les perspectives et les démarches préventives » avec Agnès HELIAS- PEAN, Alexis LAVAINE, Jérôme BERTIN, Mickaël CAMPO, Jean-Pierre MASDOUA et Bernard SCHITTLY
Alexandre Terrini