Le 18 février, la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, portée par le sénateur LR Michel Savin, a été adoptée, au Sénat, par 210 voix pour et 81 contre. Elle doit maintenant être débattue à l’Assemblée nationale. Présentation de son contenu par-delà les divergences politiques qu’elle suscite.

Rappelons, en préambule, que plusieurs amendements du sénateur Michel Savin dont le but était, déjà, de renforcer la neutralité dans le monde du sport, avaient été adoptés dans la loi du 24 août 2021, contre le séparatisme, confortant le respect des principes de la République. Toutefois, la disposition controversée visant à interdire le port du voile au cours des compétitions organisées par les fédérations sportives n’avait pas été conservée dans la version finale. Toujours est-il que depuis la promulgation de ce texte, qui a, entre autres, instauré le contrat d’engagement républicain que doivent signer les fédérations et leurs associations, 120 clubs sportifs sur les 160 000 que compte le pays ont fait l’objet d’un signalement pour atteinte aux principes de la République et seul l’un d’eux a été contraint de fermer ses portes.

L’interdiction des tenues manifestant une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions

Le point le plus médiatisé de la proposition de loi (PPL) est assurément l’interdiction du port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions départementales, régionales et nationales organisées par les fédérations délégataires de service public, leurs organes déconcentrés, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées.

Dans un avis rendu en 2023, dans l’affaire dite des hidjabeuses, le Conseil d’État a, en effet, considéré que la Fédération Française de Football (FFF) est en droit d’interdire le port de signes religieux. Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative a affirmé qu’afin « d’assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée », les fédérations sportives peuvent légitimement « imposer une obligation de neutralité des tenues ». Le Conseil d’État a fondé sa décision sur le principe de neutralité du service public tout en insistant sur le fait que les fédérations sont en « charge d’une mission de service public ». Dès lors, il a jugé l’interdiction édictée par la FFF « adaptée et proportionnée » en vue de « garantir le bon déroulement des matchs de football ».

Des enquêtes administratives sur les futurs éducateurs sportifs

Dans la même logique, la PPL prohibe également l’utilisation, à des fins religieuses, des équipements municipaux mis à la disposition des associations sportives. En clair, un équipement sportif ou un vestiaire ne peuvent servir pour la pratique d’un culte, par exemple, comme salle de prière collective. Idem en ce qui concerne le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines publiques. Ce qui signifie que leur règlement intérieur ne peut comporter d’adaptation susceptible de nuire au bon fonctionnement du service ou porter atteinte à l’ordre public.

Enfin, un dernier article permettra de mener des enquêtes administratives sur les candidats avant de leur délivrer leur carte professionnelle d’éducateur sportif. Ces enquêtes seront conduites par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS). Le but est évident :

en l’occurrence, éviter qu’un individu fiché pour radicalisation ne se voit accorder le précieux sésame, lequel est, rappelons-le, renouvelable tous les cinq ans et obligatoire pour enseigner un sport.

Quatre articles qui changent la donne

La proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport se veut délibérément coercitive, à la mesure des déviances et des périls qu’elle entend combattre.

Article 1

Lors des compétitions départementales, régionales et nationales organisées par les fédérations sportives délégataires, leurs organes déconcentrés, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées, le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse est interdit aux acteurs de ces compétitions.

Le fait de contrevenir au premier alinéa est sanctionné dans les conditions prévues par le règlement disciplinaire de chaque fédération sportive délégataire de service public et de chaque ligue professionnelle.

Le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse est interdit aux personnes sélectionnées en équipe de France par une fédération sportive délégataire de service public.

Article 2

La collectivité territoriale propriétaire d’un équipement sportif détermine les conditions d’utilisation de cet équipement et des locaux attenants. Leur utilisation pour la pratique sportive exclut tout usage pour l’exercice d’un culte.

Le premier alinéa ne fait pas obstacle à ce qu’un équipement sportif soit mis temporairement à la disposition d’une association qui souhaite l’utiliser à des fins cultuelles, à condition que ladite mise à disposition ne soit pas effectuée dans des conditions préférentielles.

Article 3

Le règlement d’utilisation d’une piscine ou d’une baignade artificielle publique à usage collectif garantit le respect des principes de neutralité du service public et de laïcité. Il assure l’égalité de traitement des usagers. Il ne peut pas prévoir d’adaptation susceptible de nuire au bon fonctionnement du service ou de porter atteinte à l’ordre public. Il prohibe notamment le port de signes ou de tenues susceptibles d’y contrevenir.

Article 4

Les décisions administratives de recrutement, d’affectation, de titularisation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant soit les emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’État, soit les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la Défense, soit les emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses, soit la délivrance de la carte professionnelle d’éducateur sportif (…). Elles peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées.

Michel Savin : « Renforcer certains dispositifs afin d’assurer à tous une pratique sereine et pacifiée »

A l’origine de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, le sénateur LR de l’Isère est revenu, en préambule des débats précédant le vote au Sénat, sur les motifs qui, à ses yeux, fondent sans équivoque cet arsenal de mesures.

Tout part d’un constat peu reluisant : « La conception française de la laïcité doit être protégée sans relâche contre ceux qui voudraient faire vaciller les valeurs de la République. Après nos écoles, ce sont maintenant nos enceintes sportives qui assistent, impuissantes, aux tentations communautaristes. Pour lutter contre l’islamisme des Frères musulmans et leur entrisme, il fallait étendre le champ de la laïcité à d’autres espaces publics, par exemple, aux compétitions sportives. (…) Concernant l’exercice du sport, depuis de nombreuses années, différents rapports et enquêtes se succèdent pour souligner la fragilité du sport face à la radicalisation et aux dérives contraires aux principes de la République. »

« Le port du voile ouvre la porte à l’émergence de clubs sportifs communautaires »

Pour Michel Savin, la laïcité ne doit, en aucun cas, s’apparenter à un tout permissif : « Si la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse de chacun, elle pose un cadre à l’exercice desdites libertés : ne pas troubler l’ordre public. Ce postulat fondamental n’étant pas toujours respecté, les acteurs du sport s’accordent sur la nécessité et l’urgence de renforcer certains dispositifs afin d’assurer à tous une pratique sereine et pacifiée. »

D’autant qu’une « question se pose actuellement au sujet du port du voile qui n’est pas explicitement interdit. Il ouvre cependant la porte à l’émergence de clubs sportifs communautaires promouvant ouvertement le port de signes religieux ». Une tendance de plus en plus invasive aux conséquences potentiellement rédhibitoires : « Dépassés par les pressions et les menaces dont ils sont l’objet, les dirigeants sportifs, les responsables associatifs et les élus locaux pâtissent d’un flou juridique. Celui-ci nourrit confusion et velléités séparatistes en laissant la place aux interprétations divergentes. (…) L’exemple des hidjabeuses n’est que le reflet de revendications qui prolifèrent. (…) Certaines fédérations, confrontées à de telles problématiques, se retrouvent démunies face à l’absence de normes strictes et générales édictées par l’État. » A fortiori quand on sait qu’un « repli communautaire est observé dans plusieurs quartiers où les fondamentalistes religieux ciblent les jeunes, mêlant sport et pratique religieuse. En particulier, ils transforment les vestiaires et les gymnases en salle de prière. (Or) les prières au sein des équipements sportifs pendant les entraînements et les compétitions sont incompatibles avec la neutralité exigée par l’État dans le sport. »

« Il faut donner un vrai soutien législatif aux fédérations »

Dès lors, il importe de se montrer implacable, ce qui, pour Michel Savin, n’a pas été forcément fait par le passé : « Il est regrettable que tous les moyens n’aient pas été mis en œuvre afin d’assurer la neutralité dans la pratique sportive, ce qui provoque régulièrement des incidents ou des dérives. (…) Il est donc temps de sanctuariser le domaine sportif, où la neutralité s’impose, et de réaffirmer haut et fort que la République prime sur la loi religieuse. Il faut donner un vrai soutien législatif aux fédérations. Cette proposition de loi vise également à donner des moyens législatifs aux élus locaux pour que les équipements sportifs ne soient pas détournés de leur destination. »

On l’aura compris, l’initiative conduite par Michel Savin vise avant tout à combler un certain vide législatif synonyme d’absence d’outils pour sévir en toute légalité : « Face à ces dérives, il est urgent de porter une réglementation claire et ambitieuse dans la loi. Il n’est, en effet, satisfaisant pour personne que ces questions liées à la pratique religieuse fassent l’objet d’interprétations juridiques différentes selon les lieux et les territoires. L’absence de cadre législatif paralyse la prise de décision, expose les fédérations et limite les moyens de contrôle et les possibilités de sanction du non-respect de la neutralité dans le sport. Ce texte traduit donc l’ambition de nous doter des instruments désormais nécessaires pour lutter contre le communautarisme et le prosélytisme, opérant un juste équilibre entre préservation des libertés individuelles et respect des principes qui unissent la République. Pour défendre les valeurs du sport au quotidien, il faut mener sans faiblesse et sans ambiguïté la lutte contre toute tentative de propagande religieuse ou politique, toute forme de radicalisation religieuse ou de repli communautaire. »

« Ce texte n’a pas pour objet de combattre une religion »

Le tout en évitant les faux procès et les reproches tronqués : « À ceux qui prétendent que ce texte empêcherait certaines femmes de pratiquer une activité sportive, je réponds que les interdictions inscrites dans cette proposition de loi sont strictement limitées aux compétitions sportives organisées par une fédération sportive ayant une délégation de service public. Ces rencontres officielles sont également des moments de représentation pour un club, une ville, un territoire. Ce texte n’a donc pas de répercussion sur la pratique du quotidien. Il n’a pas pour objet de combattre une religion. Il entend combattre une idéologie politique qui défigure une religion, divise les individus et déchire une société. »

Pour que « les valeurs de dépassement de soi, d’intégration et d’universalité inhérentes au sport permettent d’étendre son accès à tous, quelles que soient l’origine, la religion ou les convictions politiques ; ces valeurs essentielles étant autant d’obstacles aux objectifs des architectes du séparatisme religieux et du prosélytisme. » Qui en doutait encore ?